Transformation numérique : du neuf du coté de l’industrie 

Alors qu’internet a été conçu dans les années 70, comment se fait-il qu’il ait fallait attendre près de 50 ans avant que cette technologie transforme réellement notre quotidien ?

Auteur

vincent champain

Vincent Champain

Cadre dirigeant dans le secteur de la haute technologie

On confond souvent le rôle de la science (qui permet de comprendre un phénomène physique – tel le caractère semi-conducteur du silicium) et celui de la technologie (qui permet de mettre cette compréhension au service d’une finalité, par exemple réaliser un transistor avec <du silicium afin de commander un courant électrique par un autre courant).

Or la croissance vient de développement des activités liées au développement d’une technologie. Elle intervient lorsque la technologie arrive à maturité, à un niveau de coût et de simplicité tels qu’un grand nombre d’innovateurs utilisent ces « briques technologiques » dans leurs projets. Cela peut prendre un certain temps, plus ou moins long selon le secteur économique concerné. Et cela arrive en général longtemps après les progrès scientifiques qui donnent naissance à une technologie. Ainsi internet, né scientifiquement dans les années 60, a attendu les années 90 pour atteindre cette maturité, lorsque les sites internet sont devenus simples à utiliser et à concevoir.

Vous avez notamment été l’un des précurseurs du digital industriel comme président de la filiale de GE Digital en Europe. Comment internet change-t-il l’industrie ?

Alors que le monde commercial à pris conscience du potentiel d’internet autour des années 2000, internet n’est réellement entré dans les usines que dans la dernière décennie. L’industrie du logiciel est en train de vivre deux révolutions

D’abord la baisse du prix des capteurs, de la capacité de calcul, de stockage ou de transmission des données. Un “système sur puce” gros comme un ongle traitant 160 millions d’opérations par seconde, doté du wifi et de capteurs coûte deux euros. Stocker un gigaoctet coûte un centime par mois. Pour quelques euros on peut numériser odeurs ou vibrations. La “donnée industrielle” devient donc plus abondante et moins coûteuse, ce qui augmente le besoin de logiciels pour la traiter.

L’autre transformation est liée à l’accélération des cycles de développement logiciel. La façon de développer un logiciel a évolué. Il y a 30 ans cela consistait à dicter des tâches à un ordinateur, en réécrivant à chaque fois une partie du code. De plus en plus, il s’agit d’un jeu de Lego à partir de composantes logicielles. On peut donc se focaliser sur ce qui a une valeur ajoutée : assembler des composantes logicielles existantes pour répondre à un besoin, et ne développer que celles qui n’existent pas. Avec le cloud, on peut bénéficier immédiatement, sur des milliers de machines connectées partout dans le monde, des effets d’une amélioration. Or le logiciel est partout : l’efficacité des moteurs électriques brushless repose sur le système de contrôle (c’est-à-dire des logiciels inclus dans le moteur) et les drones se différencient par la performance de leur logiciel de guidage.

Une dernière tendance qui mérite d’être notée est le besoin croissant d’améliorer l’ergonomie des systèmes industriels, c’est-à-dire de réaliser dans le monde du logiciel industriel la même révolution qu’Appel a introduite dans le monde des applications mobiles : faire en sorte que la conception des logiciels conduise à des systèmes tellement intuitifs qu’on peut se dispenser de manuel ou de formation.

Les ingénieurs ont au contraire tendance à se focaliser sur la performance technique, en oubliant qu’une technique performante mal utilisée ne vaut rien. Dans le passé, il y a eu plusieurs accidents d’avions liés à des logiciels qui disposaient de la bonne information et fournissaient la bonne analyse, mais dans une contexte dans lequel le pilote, par ailleurs confronté au stress et à la fatigue, n’a pas su en tirer la bonne décision. Il suffit de voir un cockpit d’avion ou un salle d’intervention pour comprendre que le travail qui y est réalisé est un travail de chef d’orchestre d’un grand nombre de systèmes numériques. Un part croissante de l’attention des industriels vise à faciliter ce travail de chef d’orchestre.

Concrètement, quels bénéfices peut-on en attendre ?

Rendre les machines plus efficace sera plus simple et moins cher, ce qui accélérera la productivité. Certains éditeurs de logiciels promettent des gains extraordinaires, je parlerais plutôt de ce que l’économiste Marco Annunziata appelle « le pouvoir du 1% » : si vous gagnez 1% de productivité sur une activité qui coûte des milliards, et si les coûts de développement ou de déploiement sont très limités, alors vous pouvez gagner beaucoup d’argent.

Concrètement, ce sont des économies liées à la réduction du temps d’arrêt d’une machine (parce qu’on va pouvoir la réparer avant qu’elle tombe en panne en prédisant l’évolution de son fonctionnement), à la performance d’un procédé industriel (par exemple, parce qu’on optimise le fonctionnement d’un four à arc en réduisant sa consommation), à l’amélioration de la qualité (parce qu’on tire des données industriels des analyses de corrélation qui permettent de prédire les conditions menant à des défauts) ou à l’efficacité de la chaîne de production (parce qu’on permet aux concepteurs, aux fabricants et aux exploitants d’une machine de partager le même modèle numérique, ce qui permet à chacun de faire son travail de façon plus efficace). On trouve aussi des cas d’usage liée à la certification de la qualité (par exemple, l’utilisation de technologies de type « blockchain » pour rendre infalsifiables des informations sur la qualité de certaines pièces).

On parle pourtant peu du numérique industriel…

Ces opportunités sont sous-estimées car elles concernent l’internet industriel, moins médiatisé que l’internet commercial. Le groupe ASML, qui est un leader mondial des machines servant à la fabrication de microprocesseurs a une valeur de 112 milliards, soit cent fois plus que le groupe TF1. La plupart des gens connaîtront le second – car il possède une marque qui s’adresse au grand public – et n’auront jamais entendu parler du premier – qui vend ne ses machines de très haute technologie qu’à des entreprises qui fabriquent des semiconducteurs. Au total, le potentiel estimé de l’internet industriel est plus de deux fois supérieur à l’internet grand public.

Pour en tirer parti, il faut d’abord une bonne connaissance de ses données : elles sont généralement sous-utilisées, et souvent cachées. Par exemple, des données sur l’intensité du courant traversant un moteur permettant d’estimer la résistance au mouvement : pas besoin de capteurs pour cela. Il faut ensuite déterminer comment tirer des informations utiles de ces données – le big data, c’est trouver « une aiguille d’information dans une botte de donnée ». On se ruinera à explorer cette botte sans méthode. Enfin, il faut maîtriser ses coûts et délais informatiques, en se focalisant sur ce que l’on fera mieux que les autres et utilisant les services d’une plateforme existante pour le reste : une stratégie gagnante consiste précisément à se concentrer sur ses avantages compétitifs. Et plus elles sont dans un secteur est compétitif, moins les entreprises peuvent se permettre d’ignorer les gains de productivités qui sont ainsi à leur portée.

L’Observatoire de la Fintech est une Association dont l’objectif est de diffuser la connaissance du secteur de la Fintech en France.

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